Ham On Rye

Un film de Tyler Taormina

Avec Haley Bodell - Haley ; Audrey Boos - Gwen ; Gabriella Herrara - Trish ; Adam Torres - Marick ; Luke Darga - Tommy

Premier film de Tyler Taormina
Etats-Unis – couleur – VOSTF – 1H26 – 1,85 (5:3) – Stéréo – 2019
Ecrit par Tyler Taormina et Eric Berger
Directeur de la photographie Carson Lund

Sortie en salles : 8 décembre 2021

Affiche -

4,00 10,00 

DVD -

16,00 

+ d'infos
Etats-Unis – couleur – VOSTF – 1H26 – FORMAT IMAGE 16/9 COMPATIBLE 4/3 – Stéréo 5.1– 2019

BONUS

- Interview du réalisateur, Tyler Taormina, 30min, 2021.

- Court-métrage, Some do it, others don’t, 31,28min, 2020.

- Galerie des projets d’affiche pour le film (graphisme : Vincent Gauriat).

Tous les adolescents de la ville natale de Haley s’habillent pour ce qu’on appelle “ le jour le plus important de leur vie…” Avec une excitation nerveuse, ils effectuent un pèlerinage à travers la ville, attirés par un destin inconnu. Haley marche d’un pas plus réticent, sceptique quant à la tradition et à l’étrange rite de passage à l’âge adulte qui les attend à leur destination. Quand ils arrivent enfin chez Monty, le fast-food local, les groupes d’adolescents se réunissent pour une cérémonie surréaliste de nourriture, de danse et d’angoisse romantique qui déterminera le cours de leur vie pour toujours.

Etats-Unis  – couleur – VOSTF – 1H26 – 1,85  (5:3) – Stéréo – 2019
Sélection Officielle Festival de Locarno
Sélection Officielle Festival du cinéma Américain de Deauville
Ouverture du “Smell like teen spirit” Festival, samedi 30 octobre 2021 au Grand Action, à Paris

Interview de Tyler Taormina

Cette interview a été publiée pour la première fois sur filmcomment.com et est reproduite avec la permission de Film Comment, de Film at Lincoln Center et de l’auteur.

Une des choses que j’admire dans ce film, c’est qu’il traite implicitement de la nostalgie mais sans s’y complaire. Vous dites qu’un de vos amis avait parlé d’une sandwicherie comme d’un lieu où les adolescents venaient traîner ou draguer et cette idée vous avait plu. Sans doute chacun de nous a-t-il connu un endroit de ce genre dans sa jeunesse. C’était quoi, votre Monty ?

En effet, c’est cette petite anecdote qui est à l’origine du lm. Ça avait fait tilt et je m’étais senti immergé immédiate- ment dans un univers de fiction. J’ai grandi à Long Island, une banlieue de pizzerias, de delicatessen et de bagels.
Mon premier film, Wild Flies (2016), est un court-métrage qui a pour cadre une pizzeria et, depuis que j’ai réalisé Ham On Rye, j’ai quelques idées concernant les bagels. Je ne sais pas trop pourquoi… C’est de la nostalgie, sans doute, mais je dois être attiré par ces endroits que j’ai qualifiés de «troisième lieu». Ce n’est ni le domicile, ni là où on travaille, mais un «autre part», où l’on peut se confronter à la communauté. L’aliénation par rapport au système est le thème de ce film et c’est quelque chose qui me pèse. Je trouve logique de braquer le projecteur sur des endroits où les gens sont réunis de manière fortuite. Dans mon adolescence, il n’y avait pas de Monty à proprement parler, mais il y avait d’innombrables parkings de supermarchés où plein de jeunes se rassemblaient. C’était une légère transgression, très excitante au début.

Aucune ville n’est clairement identifiée dans Ham On Rye, mais je sais que le film a été tourné à Los Angeles. Comment avez-vous fait pour créer cette impression d’un lieu indéfini, presque onirique ?

C’était très important pour nous de dissimuler autant que possible l’arrière-plan du sud californien. Nous nous sommes efforcés d’occulter les trottoirs rouges, les palmiers et les cyprès, mais quelques-uns nous ont échappé. J’ai sillonné la région en voiture un certain nombre de fois et rendu visite à des amis ici et là. J’ai été frappé de constater à quel point tant de banlieues se ressemblent. L’expérience que j’ai de Long Island est sans doute partagée par des gens de mon âge à travers tous les Etats-Unis et peut-être même dans d’autres pays. Il y a une homogénéité contemporaine qui constitue en soi une strate d’oppression supplémentaire. La transgression devient encore plus difficile à cerner quand toute une génération mondiale semble avoir suivi le même chemin vers la gentrification des villes. Dans ce cas précis, la transgression consiste malheureusement à rester chez soi avec sa famille. C’est un tabou qui me pèse lourdement je pense même que c’est ce qui m’a forcé à partir de chez moi. Aujourd’hui, c’est un souvenir plus lointain de jour en jour et il ne me reste que des impressions floues de ces lieux que j’ai tellement aimés, puis abandonnés. Ils hantent mes rêves, au sens propre.

Pourriez-vous me décrire les étapes de l’écriture. La structure de ce film est particulière. Il y a un changement de ton très net au milieu, qui annonce une mutation chez chacun des personnages, que ce soit Haley qui se promène à travers divers scénarios au cours de la nuit ou pour d’autres qui s’attardent un moment à l’arrière-plan, puis disparaissent peu à peu de l’histoire.

Le point de départ était le delicatessen. Il était devenu le nœud de l’histoire, une espèce de centre de gravité. C’est d’abord comme un pôle d’attraction, un peu comme des sables mouvants, qui entraîne la communauté dans un rituel. Enfant je rêvais de porter des bretelles pour paraître plus âgé. Devenus adolescents, mes amis et moi, on fantasmait sur toutes les villes où on aimerait habiter après avoir quitté le nid. Il y avait la puissance de l’excitation qui nous projetait hors de la jeunesse, dans l’inconnu. Le récit en deux parties est, je pense, l’expression du crève-coeur que j’ai ressenti en m’apercevant que j’étais passé de l’autre côté. Ce n’avait pas été facile pour moi de me colleter avec ça et ce moment a coïncidé avec la vague de toxicomanie qui a lentement gagné Long Island. Ham on Rye n’a pas été conçu au départ comme un récit en deux parties, mais je pense que c’était inévitable.

Il n’est pas explicitement question de drogue, mais dans la deuxième partie, un alanguissement survient – en particulier dans la scène du feu de camp, où l’on voit de multiples personnages dans des états de conscience divers et dont on pourrait dire qu’ils ont l’air de planer ou du moins qu’ils ne sont plus dans la réalité. Quelle relation cela a-t-il avec le film et, par extension, avec les personnages, à mesure qu’ils passent de l’enfance à l’âge adulte ?

Nous ne voulions pas être trop précis ni trop didactiques concernant la toxicomanie qui a sévi à ce moment-là, mais peut-être fournir un contexte au climat qui l’a déclenchée. Concernant les personnages, il y a une séquence où Haley, assise dans un parc, observe les gens autour d’elle. Cet environnement enserre le récit. En fait, toute l’histoire se déroule entre la mise à feu d’une fusée et l’explosion d’un feu d’ar- tifice au bord du lac. Dans cet espace de temps, Haley et sa génération franchissent un seuil qui les fait entrer dans un âge adulte apparemment morne. Je tenais à ce qu’il y ait une multitude de personnages gravitant autour d’elle. J’aime bien qu’il y ait beaucoup d’acteurs, ce qui permet de créer des différences entre chacun d’eux. Comment un assortiment de personnes réagit-il à une situation donnée ? Plus il y a de personnages, mieux je peux remplir le spectre : certains s’adaptent, d’autres sont pleins d’espoir, d’autre encore passifs, enthousiastes etc… Ces diverses possibilités s’offrent à Haley, elle pourrait devenir, ou – finir, de n’importe quelle façon. Lorsque le feu d’artifice commence, on a presque l’impression qu’il est temps pour Haley de se décider quant au chemin à prendre.

Comment s’est effectué le casting ? La plupart des adolescents n’ont manifestement jamais fait de cinéma. Avez-vous rencontré des difficultés pour leur expliquer les rituels ou les références que vous vouliez montrer dans ce film, ou est-ce qu’ils étaient partant pour faire cette expérience ?

Le casting s’est déroulé comme d’habitude, si ce n’est qu’il n’y avait pas de directeur de casting. Nous nous sommes adressés à des agences de Los Angeles et avons vu plus d’un millier d’enfants. L’idée, c’était que lorsque je sentais de la vulnérabilité ou du charme chez l’un d’entre d’eux, on adaptait le script pour l’y inclure. Le vivier de talents que j’imagine est un peu unique. Bon nombre de ces jeunes n’avaient jamais fait de cinéma. L’un d’eux a dit son premier juron pendant une audition. Je me suis nourri de leur naïveté! Je ne leur expliquais rien. Ils étaient entièrement ouverts à ce qui allait se passer. Ils n’étaient pas autorisés à lire le scénario, seulement les pages qui les concernaient personnellement. Il était capital pour moi de savoir à quel point chacun d’eux avait conscience de la mécanique du monde. Le seul qui a pu lire l’intégralité du scénario a été Sloan (joué par Coal Devine), le jeune mélancolique qui travaille chez Monty. Etant le seul dans la deuxième partie à ne pas avoir refoulé le souvenir de ce même rituel banlieusard de son époque de lycéen, je voulais qu’il soit au courant de tout, avec ce que cela impliquait.

J’aimerais beaucoup savoir quelle est la relation de ce film avec la télévision des années 90. Vous n’hésitez pas à faire des références à des réalisateurs comme David Lynch et Richard Linklater – et même concernant la structure en deux parties, à Apichatpong Weerasethakul des premiers temps, ainsi qu’à ce courant sous-jacent d’influences parallèles enraciné dans l’iconographie culturelle pop de votre adolescence. Peupler la scène du feu de camp avec des enfants acteurs ressemblant à Danny Tamberelli de la série des Nikelodeon des années 90, par exemple, risque de n’éveiller aucun écho chez quiconque n’appartient pas à cette génération. Espériez-vous faire naître une impression précise ?

Mon travail de réalisateur a commencé avec la télévision pour enfants. D’abord pour la Tom Lynch Company, avec des séries comme Suburban Legends, coréalisée avec Kevin Anton. La vedette était Haley Bodell, qui tient le rôle principal dans Ham on Rye, alors qu’elle avait douze ans. Le Nickelodeon des années 90 a eu une influence majeure pour mes premiers pas dans le cinéma, en particulier Les Aventures de Pete et Pete et Hey Arnold! Finalement j’ai abandonné la télévision pour me consacrer uniquement au cinéma. Toutefois, Suburban Legends représente une période de ma vie extrêmement importante. Il me semble que je ne pourrais jamais plus atteindre un tel degré de pureté et d’innocence – encore un seuil de franchi. La frustration alimente sans doute un grand nombre de juxtapositions culturelles dissonantes de ce film. J’aime bien la séquence du feu de camp, comme clin d’oeil à la partie de poker de Sunset Boulevard, sauf que mes stars des années 90 jouent au Uno. Je l’aime aussi beaucoup parce que ça fait penser à cette arrière-cour où chacun finit par se réfugier après que la vague de la jeunesse s’est retirée et que le «monde vrai» s’installe. Je voulais absolument avoir des interprètes que je n’avais pas vus personnellement depuis un moment sous les projecteurs – certains d’entre eux sont toujours en activité mais je peux être assez inconscient en ce qui concerne la culture pop contemporaine. Quoiqu’il en soit je voulais que les gens de ma génération les revoient et fassent la même expérience qu’ils pourraient faire grâce aux réseaux sociaux, en revoyant des visages perdus de vue depuis le lycée. En regardant ces visages, on prend conscience, dans la salle de cinéma, du temps qui s’est écoulé.

Qu’est-ce que ça a donné de les embarquer dans cette aventure ?
Y a-t-il eu une hésitation de leur part à jouer un souvenir collectif de leur propre passé ? J’aimerais aussi savoir ce qu’ils ont ressenti en se revoyant ?

Tom Lynch, qui a toujours été un guide pour moi, m’a mis en relation avec Danny Tamberelli (The Adventures of Pete & Pete et Hey Arnold!) et le reste a suivi. Il avait joué dans les séries de Nickelodeon All That and Figure it Out avec Lori Beth Denberg qui, je pense, était ravie de jouer de nouveau avec son vieil ami. Danny avait joué aussi dans The Mighty Ducks avec Aaron Schwartz, il y a des années, et les retrouvailles ont donc été très chaleureuses. Ils étaient tous heureux de participer au film et appréciaient son contexte implicite avec beaucoup d’humour. Je crois que Danny et Lori Beth sont toujours amis, vu qu’ils se sont vraiment bien entendus sur le tournage, n’arrêtant pas de blaguer et de chanter des airs de Beat Happening entre les prises ! C’était à la fois formidable et curieux.

La musique tient une grande place dans le film, qu’il s’agisse d’inspiration musicale ou du recours aux pop songs. Comment avez-vous conçu ce film du point de vue sonore ? Voyez-vous une correspondance entre ces pratiques, artistiquement parlant ?

Je vois une correspondance entre ma pratique de la musique et ce film. Dans les groupes auxquels j’ai participé, la priorité a toujours été de construire chaque album comme un tout à écouter du début à la fin. On abordait ces disques de façon narrative – pas pour les paroles mais dans la dynamique et la façon dont un morceau s’enchaînait avec le suivant. Pour moi, chaque chanson avait son propre sens de l’espace. J’aime imaginer l’auditeur allant d’une pièce à l’autre et j’ai conscience de l’importance de l’espace dans ma manière de faire des films. Même lorsqu’il n’y a pas de musique originale ou sous licence pour guider le mouvement, il y a un rythme qui vous porte, dans la conception sonore.

Le musicien allemand Deuter figure au générique pour la musique. Avez-vous apporté une contribution personnelle ? Avez-vous discuté de la façon dont le film pouvait correspondre aux thèmes de l’histoire, du point de vue du son ?

Oui, j’ai participé à la musique. Avec David Croley Broyles (qui a un petit rôle dans Ham on Rye et qui est aussi un membre de mon groupe), Jackson Wargo (du groupe Snowball ii) nous nous sommes rencontrés plusieurs fois au Doughnut Shop. Nous avons coproduit et mixé plusieurs bandes du film, la principale étant Hot Water, dû essentiellement à David. Jackson Wargo est un producteur et un ingénieur du son incroyable et son travail a vraiment contribué à hausser le niveau de la bande son. Eric Berger, mon coscénariste est venu à Los Angeles pour m’aider à terminer le scénario. Comme il a très peur de l’avion, il s’était branché sur la chaîne de musique relaxante de la compagnie, pendant le vol, et c’est ainsi qu’il a découvert le morceau « Pierrot » de Deuter. Le décollage de l’avion lui avait fait l’effet d’une « ascension vers le ciel », et il était certain qu’il allait mourir ; quand il m’a raconté cette histoire et fait entendre cette chanson, j’ai décidé aussitôt que ce serait la musique de Ham on Rye. Une grande partie du découpage, et même de l’écriture, a été conçue autour de ce morceau de musique. Nous sommes très heureux de l’avoir dans le montage final du film.

Avant Locarno, le film a été présenté lors de divers festivals régionaux, aux Etats-Unis.
Qu’avez-vous ressenti en montrant au monde votre premier long-métrage. Avez-vous rencontré le public que vous souhaitiez ?

Présenter le film partout a été pour moi un défi . Je l’avais réalisé en réponse à toute une série d’obligations, d’intuitions, de choses que j’avais dans la tête sans en avoir conscience totalement. Après l’avoir présenté aux premiers publics tests, je ne savais plus quoi penser. Ce travail avait été long et personnel et, tout à coup, la réaction des gens devenait incroyablement importante. Ce fut le premier de mes films à être présenté au public, au festival de Santa Barbara, et je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Les premiers festivals US auxquels nous avions participé avaient donné lieu à des haussements d’épaules, des sorties de salle et quelques mots aimables dont on ne pouvait être sûr qu’ils étaient sincères. Cela dit, il y avait toujours des gens que le film avait émus, même s’ils pouvaient passer pour des hurluberlus. Heureusement, ils avaient soutenu le film qui avait pu continuer à passer en salles. C’est avec le Maryland Film Festival que tout a basculé. C’est là que nous avons trouvé notre public, ce qui nous a vraiment pris par surprise.