Robinson dans l’espace

Un film de Patrick Keiller

Sortie en salles : 13 août 2003

Robinson et Paul Scofield se retrouvent pour une exploration de l’espace inconnu toujours grandissant de l’Angleterre actuelle.

À propos du film

“La véritable identité de Londres est dans son absence”, conclut Robinson à la fin de sa première enquête. Ayant été licencié, il quitte la capitale. Il aurait aimé devenir espion, mais ne sachant pas trop à qui s’adresser il a accepté la proposition d’une agence de publicité renommée de faire une enquête sur le problème de l’Angleterre et son capitalisme de gentleman. Il devient ainsi un étudiant itinérant du paysage anglais, de son économie, de ses collèges, de la malbouffe, de la sexualité de ses habitants…

Paul et Robinson prennent conscience de réalités qui souvent les déroutent (“pour beaucoup la vie, même au coeur des pays industrialisés, consiste à attendre avec ses courses un bus qui ne vient jamais”), leur incompréhension grandit à mesure qu’ils s’enfoncent dans le pays (ils se retrouvent au milieu de nulle part alors qu’ils cherchent des traces de la fumerie d’opium fréquentée par Dorian Gray en suivant les indications du roman). Le paysage est plus agressif, les barbelés dressés sur les murs d’enceinte s’aiguisent. Distinguer une prison d’un supermarché devient plus difficile, l’atmosphère devient plus sado-masochiste…

Robinson finira par perdre la raison.

Patrick Keiller devient architecte en 1976. Il poursuit ses recherches au-delà des frontières conventionnelles de l’architecture avec sa première installation audiovisuelle à la Tate Gallery de Londres en 1982. Il fait ensuite plusieurs courts métrages dans lesquels il associe les paysages quotidiens urbains et ruraux à une narration fictive. Viennent ensuite “London” (1994) puis “Robinson dans l’espace” (1997), exploration de la géographie culturelle et économique de l’Angleterre qui existe également sous forme de livre. Il a réalisé en 2000 “The Dilapidated Dwelling”, recherche pour la tv sur l’habitat en Angleterre. Son nouveau projet, “The City of Future”, est une exploration basée sur des films primitifs qui s’attache à montrer comment le rapport à la ville a changé ces cent dernières années, et comment il devrait évoluer dans le futur.

Patrick Keiller à propos de Robinson

Robinson, qui souffre de troubles de la mémoire, travaille aujourd’hui comme magasinier dans un supermarché à Barrow-in-Furness. Peu de temps après les événements décrits à la fin de “Robinson dans l’espace” (il disait qu’il allait voler une pièce d’un Tornado saoudien qui s’était abîmé en mer du Nord), il fut arrêté par la police du Ministère de la Défense alors qu’il se promenait dans la lande, près d’une base militaire isolée située non loin de la frontière écossaise. Il a passé plusieurs années en prison puis en hôpital psychiatrique. Paul, qui s’appelle en fait Robert Delamarche (voir “America” de Kafka), a publié les résultats de leur enquête juste avant les élections de 1997. Il est peu de temps après devenu un conseillé influent de Downing Street, un des plus en vue du New Labour. Il a épousé l’héritière d’une chaîne de supermarchés, a été fait pair à vie, puis s’est retiré de la vie publique. Lord et Lady Delamarche ont depuis créé le Robinson Institute, un think-tank qui poursuit l’oeuvre de Robinson en son absence. Ils auraient financé le travail de documentation du dernier film de Patrick Keiller (sur la situation difficile du logement au Royaume-Uni), et pourraient également soutenir un de ses nouveaux projets, “The City of Future”. Ils espèrent que Robinson recouvrera bientôt ses facultés, suffisamment en tout cas pour devenir le directeur de l’Institut, même s’ils craignent qu’il leur en veuille d’avoir utilisé sans son autorisation ses travaux précédents.

Ce n’est pas sans mal que Patrick Keiller avait réussi à retrouver le protagoniste de “Robinson dans l’espace”, au tout début de l’année 1997. Ce qui suit est la transcription de leur dernière entrevue.

Pouvez-vous nous parler de vos dernières recherches ?
Une agence de publicité renommée m’a demandé de réaliser une étude sur le problème de l’Angleterre.

Vous ont-ils dit quel était d’après eux ce problème ?
Non, mais je suis parti du principe qu’ils parlaient de tout ce qui est lié à notre capitalisme de gentleman : les collèges, la City, la malbouffe, le malaise sexuel…

D’où venait donc ce problème, d’après vous ?
Parce qu’en général les biens les plus sophistiqués qu’on trouve dans les magasins, et la plupart des voitures, sont soit importés soit produits ici par des sociétés étrangères, on dirait que les fantasmes des Tories d’une économie basée sur le secteur tertiaire se sont effectivement réalisés. Si l’idée d’un endroit où les gens gagnent tous leur vie en vendant des produits d’assurance vous déplaît, et que vous pensez qu’un tel système n’est pas viable à long terme, alors l’avenir semble plutôt morne. Nous pensions que la faiblesse de l’économie du Royaume-Uni provenait des anachronismes de la culture anglaise (distincte des cultures écossaise, galloise et même nord-irlandaise).

Le Royaume-Uni a cependant une bonne réputation dans les domaines de l’art et du design ?
Oui, évidemment… mais le pays est réputé pour engendrer des artistes et des designers, pas pour leur accorder la moindre attention.

D’accord, mais on sait déjà tout ça. Où êtes-vous allés, qu’avez-vous trouvé ?
Nous avons voyagé ci et là. Nous sommes partis de Reading car, comme l’a dit Michel de Certeau : “Reading (la lecture) se libère du ferment qui l’a déterminée”. Nous avons descendu la Tamise, sommes allés à Oxford, Cambridge, dans de nombreux ports, pour regarder les importations et les exportations se faire. Nous sommes allés dans des usines, des parcs d’activités, des zones commerciales, des plates-formes de distribution. Dans tous ces nouveaux espaces, et en particulier au nord de l’Angleterre.

Nous avons réalisé que nous ne connaissions rien des ports ou de l’industrie. L’industrie du Royaume-Uni a beau ne pas produire grand chose de visible et ne pas employer grand monde, elle reste assez performante. Les importations de biens de consommation attrayants et visibles ne sont pas contrebalancées par l’exportation de services mais par celle de produits chimiques, d’aéroports et de centrales électriques. Etre impliquée dans quoi que ce soit d’aussi risqué que la production de formes nouvelles n’intéresse pas la City qui préfère transformer le pétrole en billes de polystyrène. Les services financiers n’ont qu’un faible poids dans la balance commerciale.

Tout finit bien malgré tout…
Il y a deux raisons à cela. D’abord, bien que les Anglais sous-évaluent ce qu’il y a de meilleur dans leur culture (La Caisse des Monuments Historiques néglige l’art rupestre du néolithique pour ne chérir que ses châteaux en ruine, “Tristram Shandy” est un des plus grands livres de la littérature mondiale), ces oeuvres exercent encore aujourd’hui une grande influence.

Ensuite, l’économie à beau rendre le Royaume-Uni peu agréable à vivre, elle n’est pas en échec. Elle fonctionne même plutôt bien pour ses propriétaires. Le mythe du déclin a grandement servi les Tories et leur a permis de démanteler le secteur public. Le pays est bien plus riche qu’il n’y paraît. Il donne une impression provinciale alors que son économie repose en grande partie sur l’international. Malgré ses anachronismes et son déclin urbain, il est très moderne. On a l’automatisation des oeuvres de science-fiction, mais pas la vie meilleure. On a à la place le chômage, les boulots mal payés du tertiaire, et tous ces gens économiquement inactifs. Cette misère n’est pas le résultat d’un déclin qui serait irréversible, mais de décisions politiques révisables.

Et la poésie dans tout ça ?
Les avant-gardes modernistes envisageaient au départ que la transformation de la vie quotidienne se ferait par une subjectivité révolutionnaire. Les artistes modernes s’enthousiasmaient pour la radio, les bateaux et les aéroplanes, les usines et les grands ports. La poétique de la modernité a inspiré les tentatives des designers dans la transformation du monde par la fabrication de nouvelles choses. Nous sommes plus critiques sur notre propre modernité, mais c’est toujours la clé pour imaginer comment serait un monde nouveau.

(Paru dans le Time Out du 8 janvier 1997)