De l’autre côté de la porte

Un film de Laurence Thrush

Avec Kenta Negishi, Kento Oguri, Masako Innami, Takeshi Furusawa, Sadatsugu Kudo

Japon - 2009 - 1h50 / noir et blanc - image : 1.85 - son : 5.1

Sortie en salles : 11 mars 2015

Affiche -

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Affiche L 40 x  H 60

DVD du film -

16,00 

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BONUS :
- Interview de Maïa Fansten (sociologue) et Cristina Figueiredo (anthropologue), maîtres de conférence à l'Université Paris Descartes, sur les hikikomoris
- Bandes annonces

Japon - 2009 - fiction - noir et blanc
Durée du film : 1h50
Format image : 16/9 compatible 4/3 - 1.85
Format son : 5.1 - Dolby digital
Film en version originale japonaise avec ou sans sous-titres français

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universcine.com

Hiroshi vit dans une banlieue de Tokyo avec ses parents et son jeune frère. Un soir, à son retour de l’école, il s’enferme dans sa chambre et pendant deux ans refusera d’en sortir et d’y laisser entrer qui que ce soit. Cette histoire se base sur le phénomène japonais des hikikomori, qui affecterait plus d’un million de jeunes japonais.

De l'autre côté de la porte

Les hikikomoris

Le film traite d’un phénomène de plus en plus répandu qui touche essentiellement le Japon : l’hikikomori, qui concernerait environ 1 million de jeunes. Parfois traduit de façon approximative par “retrait de la vie sociale”, “hikikomori” désigne un état d’anomie qui semble de nos jours affecter un nombre croissant de jeunes Japonais [par extension, le terme peut aussi désigner les personnes atteintes de ce trouble]. Coupés du monde, ces adolescents s’enferment dans leur chambre et refusent tout contact avec l’extérieur. Ils vivent en décalé, dormant tout le jour et passant la nuit à regarder la télévision ou à jouer aux jeux vidéo. Certains possèdent un ordinateur ou un téléphone portable, et la plupart ont peu ou pas d’amis. Cet état dépressif peut se prolonger des mois, voire dans certains cas extrêmes, des années. La majorité des hikikomoris vivent en périphérie des grandes villes, et les trois quarts sont des garçons, en général des aînés.

“L’hikikomori est un état de détresse émotionnelle face au système scolaire, à la famille ou à la société dans son ensemble, qui pousse un individu à adopter une attitude défensive et à refuser de sortir de chez lui ou même de sa chambre. Il arrive qu’au bout d’un certain temps, la personne enfermée ressente le besoin d’agir, mais le plus souvent, elle ou sa famille ne parvient pas à mettre un terme à la claustration, le sentiment de résignation prend toute la place et la situation se dégrade. Au fil des années, le cloîtré perd toute volonté de sortir. Seul un tiers peut alors briser l’étrange immobilisme qui a frappé la famille. Au terme de visites à domicile répétées, le tiers peut réussir à libérer les émotions de l’hikikomori et à dénouer le problème.”

M. Sadatsugu Kudo, ONG Centre d’assistance à la jeunesse (M. Kudo tient l’un des rôles principaux dans film)

“En général, l’hikikomori est perçu comme un ‘comportement déraisonnable’, similaire à une dépendance ou à un égoïsme de nature obsessionnelle, quand il n’est pas considéré comme un trouble mental. Toutefois, quand on passe du temps avec les jeunes qui en souffrent, on s’aperçoit qu’il existe toujours une cause à leur comportement, qu’ils en soient conscients ou non. Ils sont incapables de sortir de leur isolement tant qu’ils n’ont pas réglé leurs conflits intérieurs. Ils ont besoin de temps afin de s’accepter tels qu’ils sont. Ce qui compte alors, c’est la réaction des adultes de leur entourage. Ceux-ci doivent faire preuve de compassion et accueillir la souffrance de ces jeunes qui tentent de se réconcilier avec eux-mêmes. Tant que le phénomène d’hikikomori est déconsidéré et jugé comme négatif, il est impossible de faire bouger les choses. Je crois que notre société devrait être plus attentive aux conséquences de l’industrialisation et qu’elle devrait penser aux structures nécessaires pour aider les hikikomoris à se rouvrir au monde.”

Mme Yoshie Masuda, écoles d’enseignement alternatif RINGO-NOKI (APPLE TREE SCHOOL) et KOSIGAYA RARGO
.(Kenta Negishi, le personnage principal du film, et Kanae Matsumura ont tous les deux été élèves de RINGO-NOKI, et Sohko Kanou y est enseignante.)

Interview Laurence Thrush

D’où vous est venue l’idée de faire un film sur l’hikikomori, et comment vous êtes-vous documenté sur le sujet ?
J’ai découvert ce phénomène sur un documentaire de la BBC. J’avais très envie de faire un film qui se déroule presque entièrement dans l’enceinte d’une maison, de créer entre ces quatre murs un objet en même temps cinématographique et chargé d’émotions. Ce qui l’intéressait, c’était le cercle familial et sa dynamique relationnelle, c’était d’observer ce que l’enfermement qu’Hiroshi s’imposait allait provoquer comme réactions chez ses parents et son petit frère. J’ai écrit mon scénario en m’inspirant le plus possible de faits et d’expériences réels, décrits par des familles qui ont connu cela et par des travailleurs sociaux qui m’ont présenté des cas d’école emblématiques. Les personnages du film ne représentent pas des individus en particulier, ils ont été créés à partir de toute la documentation que j’ai pu rassembler sur le sujet. J’ai essayé de coller le plus possible à la réalité et de construire l’histoire à partir d’une multitude d’expériences vécues par différentes familles, plutôt que d’inventer des scènes purement et simplement. Je suis parfaitement conscient, en tant qu’Occidental, de ne pas comprendre la culture japonaise, c’est pourquoi j’étais très mal à l’aise à l’idée de prendre des libertés créatives. Autant que possible, je n’ai donc pas cherché à comprendre ce que les parents pouvaient penser ou ressentir, ni à imaginer quelle attitude ils pouvaient adopter. Je leur ai attribué des scènes et des réactions qui m’ont été décrites. C’était à mes yeux la seule façon de présenter des personnages réalistes et authentiquement japonais dans leur manière d’être.

Pourquoi avoir fait une fiction plutôt qu’un documentaire ?
Je n’ai pas voulu faire un documentaire car, pour moi, le thème central n’était pas ce que le personnage principal faisait dans sa chambre, mon but n’était pas d’expliquer les raisons ou les causes de l’enfermement volontaire. Je voulais montrer comment les actes d’un membre de la famille rejaillissaient sur les autres, quelles étaient les répercussions sur la vie de la mère, du père et du frère. Au début de mes recherches, une mère dont le fils s’était cloîtré m’a raconté qu’elle ne l’avait pas vu pendant deux ans, que pendant tout ce temps, le seul signe de vie qu’elle avait parfois de lui, c’était le bruit de ses pas sur le parquet, le soir, quand le reste de la famille dînait. Cette image ne m’a plus quitté, elle m’a habité tout au long des difficiles processus d’écriture, de tournage et de montage. Il y avait toujours cette question de savoir comment une famille pouvait continuer à fonctionner et à partager les repas pendant qu’à l’étage, l’un de ses membres vivait reclus, dans un exil qu’il s’était imposé. J’avais le sentiment que cela serait mieux exposé par la fiction, et je pressentais un fort potentiel visuel et cinématographique, raison pour laquelle j’ai voulu faire un story-board de tous les plans. Le chef opérateur et moi avions une idée très précise de la façon dont nous voulions transcrire cette histoire sur le plan visuel.

Et pourquoi le noir et blanc ?
Comme le film est très proche de la réalité – il n’y a que des acteurs non professionnels dans les rôles principaux, sauf un, on a tourné en décors réels avec très peu d’éclairage artificiel – je me suis dit que le noir et blanc permettrait de prendre une certaine distance, que le spectateur saurait ainsi d’emblée qu’il regardait une fiction et pas un documentaire. Mes influences piochent également dans la photographie de rue japonaise, chez Junku Nishimura, Tomatsu Shomei et Daido Moriyama. Et puis, quand j’ai visité le Japon, j’ai été submergé par toutes les couleurs des panneaux d’affichage et de publicité, par les aspects très modernes, très technologiques de Tokyo qui détonnent avec la culture japonaise traditionnelle (laquelle a selon moi plus à voir avec l’hikikomori), alors j’ai essayé d’amoindrir, d’atténuer cette avalanche de couleurs criardes en tournant en noir et blanc.

Vous avez essentiellement travaillé avec des acteurs non professionnels, certains ayant vécu la situation décrite dans le film…
Le choix des acteurs a pris du temps. Nous avons cherché des personnes qui aient un lien avec le sujet et qui acceptent en plus de travailler de manière pas forcément orthodoxe. La façon dont j’aime mettre en scène et tourner n’est pas celle qui a généralement cours sur les plateaux. Je ne fais pas de répétitions avant le tournage ; même si tout a été posé sur story-board et que les dialogues sont très écrits, je commence le tournage avec les répétitions, pour voir les acteurs non professionnels trouver leur place dans la scène. La conséquence, c’est que ça peut être long et qu’il faut s’attendre à faire un grand nombre de prises. Dans la mesure où je fais également le montage, je préfère disposer d’une foule de prises et de styles de jeu pour pouvoir choisir ce que je veux. C’est une façon de procéder assez épuisante, et je crois que les acteurs habitués à travailler dans un cadre plus standard, plus maîtrisé, auraient vraiment du mal avec moi. Si je préfère travailler avec des acteurs non professionnels, c’est aussi parce que je pense qu’ils peuvent apporter quelque chose de plus authentique, de moins étudié que des comédiens aguerris qui auraient déjà leur idée de ce que sont le tournage et le jeu d’acteur. Le rôle d’Hiroshi ne pouvait être interprété que par quelqu’un qui avait vécu dans sa chair l’expérience de l’enfermement volontaire. Il a fallu beaucoup de temps pour convaincre Kenta (qui joue Hiroshi) d’accepter ce rôle, mais je suis très content d’avoir persévéré, car je trouve qu’il donne une grande évidence et une grande réalité au personnage. Quant à Kudo, travailler avec lui a été un véritable plaisir. Et, cas unique pour moi, pour de très nombreuses scènes avec lui, une seule prise a suffi tant son jeu était sincère, impeccable. Je n’avais rien à redire, un vrai bonheur.

Cela a-t-il été facile de trouver la juste distance pour parler, en tant qu’occidental, d’un phénomène purement japonais ?
J’avais le sentiment de très bien comprendre le sujet et les personnages. Je crois que la dépression et les relations familiales, ainsi que toutes les grandes émotions, sont universelles, que si l’on est sincère dans le récit, on ne peut pas se tromper sur les réactions des gens dans ce genre de situation. Le seul aspect que je ne maîtrisais pas était la façon dont l’école ou les services sociaux pouvaient intervenir – ou ne pas intervenir – et, sur ce point, il m’a fallu demander conseil au producteur et aux documentalistes de l’équipe. En Occident, je sais comment le système scolaire réagirait au problème, à quel moment les autorités locales entreraient dans l’équation, mais au Japon, les choses sont très différentes. Or j’ai voulu être réaliste quant à la manière dont le problème est perçu et traité (ou pas, en l’occurrence) par les institutions concernées dans ce pays. Pour ce qui est de ma distance ou de celle de la caméra vis-à-vis des personnages, il n’y en avait pas du tout : on a tourné dans une vraie maison qu’une famille avait aimablement mise à notre disposition, on cuisinait et on mangeait tous ensemble, il n’y avait pas d’assistant réalisateur, pas de hiérarchie dans l’équipe, on formait une vraie famille, c’était une expérience tout à fait unique.

Votre film semble influencé par le cinéma japonais, dans la façon de placer la caméra ou sa sobriété par exemple.
On a dit beaucoup que le film s’apparentait au cinéma japonais, bien que je n’en sois pas du tout un disciple. Je ne peux pas prétendre que le cinéma japonais m’a inspiré, je n’ai pas donné d’instructions dans ce sens à mon chef opérateur. Peut-être que, tout simplement, nous avons voulu faire du cinéma, créer des plans où l’on sente les émotions des personnages, afin de véritablement saisir ce que cet endroit et cette situation avaient de si fort.

Comment en êtes-vous venu à choisir la musique de Pan American ?
J’adorais Pan American bien avant de faire le film et, pendant le montage, j’ai beaucoup écouté Brian Eno, Pan American et d’autres artistes de musique d’ambiance électro. Et il y a un morceau en particulier de Pan American, Amulls, qui m’a semblé vraiment bien convenir pour le film. Quand j’en ai discuté avec Mark Nelson (Pan American), il m’a expliqué qu’il avait fait ce morceau à partir d’enregistrements du cÅ“ur de son fils pendant que sa femme était enceinte. Je crois que la façon dont Hiroshi se crée un refuge dans sa chambre, comme un cocon utérin, est l’une des raisons pour laquelle cette musique fonctionne si bien ici.