Mondo Mulloy

Un film de Phil Mulloy

Angleterre - 1991/2001 - 97 min. - noir & blanc et couleur

Sortie en salles : 28 avril 2004

Affiche -

4,00 

DVD du film -

20,00 

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“Mondo Mulloy” ce sont des films à la fois violents et très drôles qui font penser à l’art brut et aux mascarades mexicaines. Un univers peuplé de bonshommes bizarres et charbonneux aux allures de rongeurs sadomasos.
Phil Mulloy passe à la moulinette les moeurs conservatrices, s’attaque tour à tour aux valeurs sociales, politiques et culturelles.

 

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“Mondo Mulloy” ce sont des films à la fois violents et très drôles qui font penser à l’art brut et aux mascarades mexicaines. Un univers peuplé de bonshommes bizarres et charbonneux aux allures de rongeurs sadomasos.
Phil Mulloy passe à la moulinette les moeurs conservatrices, s’attaque tour à tour aux valeurs sociales, politiques et culturelles.

Mondo Mulloy

Les films

Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat (1995, 6 min)
Ezekiel Middenbender, citoyen de la petite ville perdue de Joesville, est enlevé par des extra-terrestres. Nous sommes en 1939 et en Europe la Seconde Guerre mondiale vient de commencer. Les Zogs ont pour projet d’anéantir l’humanité et de réduire la terre en vapeur. C’est parce qu’il aura l’idée de leur rappeler leur devoir dominical qu’Ezekiel Middenbender sauvera l’humanité.

Cow-Boys: Slim l’entourloupeur (1992, 3 min)
Tous acclament Slim qui devient leur nouveau chef. Et tous s’enrichissent. Mais il va désormais falloir se barricader pour ne pas risquer de perdre le moindre sou…

Tu ne voleras point (1994, 5 min)
Hank travaille chez Cisco, le plus gros entrepreneur de Joesville. C’est un homme de bien, un croyant sincère, qui essaie en vain de dissuader les autres ouvriers de voler sans vergogne, le soir venu, les biens de l’entreprise. Il vivra dans une boite en carton à l’extérieur de la ville “jusqu’à la fin de ses jours”.

La Chaîne (1997, 10 min)
Un enfant gribouille sur une feuille de papier. Il en résultera une guerre mondiale.

L’Histoire du monde: la découverte du langage (1994, 3 min)
Un groupe de femmes et un groupe d’hommes trouvent des lettres dans la terre. Les mots qu’elles formeront changeront leur vie.

Tu ne commettras point l’adultère (1994, 5 min)
Tex et Mary Lou ont été abandonnés dans l’espace suite à la faillite de la Nasa. Ils tomberont amoureux l’un de l’autre, mais ne s’avoueront jamais leur attirance, désirant rester fidèles à l’être qu’ils ont laissé sur la terre, qu’ils ne reverront jamais et qu’ils haïssaient jadis pourtant.

Le Vent des changements (1996, 15 min)
Les mémoires d’Alex Balanescu, célèbre compositeur (qui a souvent travaillé avec Phil Mulloy). A l’est dont il est originaire, comme à l’ouest (où il est parti vivre), c’est toujours la même histoire: il faut se conformer. La seule différence étant qu’un monde est régi par la dictature politique et l’autre par celle de l’argent.

Tu ne convoiteras pas ce qui appartient à ton prochain (1996, 5 min)
Cisco, après avoir mis la clef sous la porte est allé s’installer au Mexique. Sa nouvelle affaire connaît un grand succès, et chaque soir il remercie Dieu et lui demande de légitimer l’exploitation et le meurtre de gens innocents. Mais un jour, d’ingrates crapules à qui Cisco avait pourtant offert du travail se révoltent.

Cow-Boys: le train sifflera trois fois (1992, 3 min)
Une parodie du film de Zinnemann où les cow-boys sont littéralement montrés comme des clowns.

Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain (1996, 9,5 min)
Un homme prend la place d’un chien afin de gagner l’affection de sa maîtresse, tue accidentellement le premier Ministre et provoque l’état d’urgence national.

Intolérance (2000, 11 min)
Une bobine de film est retrouvée, montrant la vie d’extra-terrestres: les Zogs. Ceux-ci sont en de nombreux points semblables aux humains, si ce n’est que la tête et les organes sexuels sont “au mauvais endroit”. L’assistance qui découvre le film est outrée par l’existence d’êtres aussi scandaleux et demande l’extermination des habitants de la planète Zog.

La presse

Télérama : Chez Mulloy, pas le moindre souci de faire joli ou de plaire aux enfants. Ça mord, comme les gueules de herse de ces bonshommes aux ratiches clairsemées. Ça grince, à l’instar de partitions musicales particulièrement travaillées pour donner du relief au dessin. L’ensemble est fortement conseillé aux amateurs de gribouillis furieux dans les marges.

Libération : Phil Mulloy démêle les moeurs et maléfices des bipèdes épinglés comme des lépidoptères sur papier. Ses bonshommes bizarres et charbonneux aux allures de rongeurs sadomasos s’apparentent à l’art brut, ainsi qu’aux mascarades mexicaines.

Studio : Un superbe programme de 11 courts métrages, irrévérencieux et crépusculaires, tout droit sortis de l’imagination de Phil Mulloy. Violence, humour noir et une finesse de trait hallucinant. Du grand art !

Novamag : Dans le registre du non-sens, Mulloy n’est jamais très éloigné de ses compatriotes, les Monty Python, jusqu’à être le même critique des moeurs conservatrices de toutes les sociétés. Avec dans le collimateur les aspects contradictoires de la civilisation, flinguant tour à tour, le social, le politique, le culturel…

Charlie Hebdo : Phil Mulloy ressemble aux histoires de ses films d’animation : sombre mais jamais complètement noir, acéré mais courbe, désespéré mais joyeux. Le spectateur se marre puis s’inquiète. Le monde qui l’attend à la sortie de la salle de cinéma n’est finalement qu’un «Mondo Mulloy» mal dessiné.

Propos sur Phil Mulloy

Né à Wallasey, dans le Cheshire, Phil Mulloy étudie la peinture au Ravensbourne Art College dans le sud de Londres. Il se tourne vers la fiction et la télévision après avoir réalisé un court métrage d’animation grâce auquel il est admis au Royal College of Art. Diplômé en 1971, Mulloy travaille comme scénariste et réalisateur jusqu’à la fin des années 80, notamment avec Keith Griffiths, producteur des frères Quay et de Patrick Keiller. Puis il part vivre au Pays de Galles, dans une étable réaménagée, non loin de Carmarthen, et se consacre à plein temps à l’animation.

‘L’Oeil du cyclone’, l’histoire d’un enfant qui met fin à la cruauté humaine, contient des images étonnantes qui s’inspirent de scènes de pendaison de prisonniers de guerre russes. Ce film préfigure la vitalité iconoclaste de la décennie suivante, qui approfondira le thème de l’inhumanité de l’homme envers l’homme. ‘Possession’ associe la prise de vue réelle et l’animation: cette histoire du Petit Chaperon Rouge s’intéresse à la tension entre le loup comme agent du chaos et le bûcheron qui représente l’ordre ; un dispositif métaphorique que Mulloy met très souvent en place pour exposer les aspects illusoires, contradictoires et nihilistes de la société “civilisée”.

‘Cowboys’, la série en six parties réalisée pour Channel Four, a porté Phil Mulloy sur le devant de la scène nationale et internationale. Elle a conforté son engagement dans l’animation, qui lui permet d’aborder de façon personnelle et terriblement efficace n’importe quelle question quel que soit le contexte ou le genre. Le fascisme implicite inhérent au western y est amené vers sa conclusion logique à travers une description de la compétitivité et de la cupidité masculines qui se manifestent dans des actes de plus en plus violents. Dans chacun des six épisodes, la recherche d’une gratification immédiate et la poursuite d’un besoin insatiable concourent à bouleverser à la fois les attentes génériques et les orthodoxies sociales.

Ses ‘Dix Commandements’, construits sur le même modèle, allient le surréel et le social. Ils montrent un Dieu qui, en faisant l’homme à son image, a fait preuve de Ses propres faiblesses et de Son inhumanité. Quant aux points de vue de Mulloy dans ‘L’Histoire du monde’, ils sont aussi audacieux que leur attaque sans retenue des sensibilités conservatrices.

Le succès de ces approches très amusantes des codes génériques et des conventions liés à la masculinité aux prises à ses excès, ont encouragé Mulloy à pousser sa recherche plus loin dans une série de films plus personnels. ‘Le Son de la musique’ et ‘Le Vent des changements’, exemples de ce que Mulloy a fait de meilleur, affirment que l’art doit nécessairement être individualiste et sans concession face à ceux qui affichent leur indifférence ou leur hostilité à la “différence” esthétique et intellectuelle. Les deux films rejettent l’autoritarisme, le matérialisme et le conformisme et mettent en valeur l’art, et plus particulièrement la musique, comme instrument de libération et d’affirmation individuelle.

On trouve une approche plus ludique de ces thèmes dans ‘Intolérance’ et ‘Intolérance II: l’invasion’ qui parlent du conformisme en parodiant les films de science-fiction sur l’invasion extra-terrestre et la paranoïa qui s’ensuit. ‘Intolérance’ aborde la préoccupation principale de Mulloy (le comportement sexuel et l’identité sociale) en utilisant les extra-terrestres de la planète Zog (pour re-définir les excès des tabous liés aux relations sexuelles coïtales, anales et orales) et la diversité des excroissances du corps humain pour reconfigurer ses fonctions et utiliser l’animation dans ce qu’elle a de plus remarquable: comme moyen de re-définir l’aspect physique et le matériau monde. ‘Intolérance II’ va plus loin en utilisant les Zogs et leur tête en forme de pénis (une métaphore à peine voilée de l’immuabilité de l’autorité patriarcale, des impératifs de la sexualité masculine et du pouvoir phallique) dans une histoire où ils prennent le contrôle de l’humanité, provoquant la paranoïa de Dwight Hokum : alors qu’il a embrassé la religion, Hokum s’aperçoit qu’elle est inadaptée à ses attentes, et, après avoir assassiné les membres de sa famille qu’il croyait être des Zogs, il découvre que, lui aussi, est l’un de ces extra-terrestres redoutables.

La force et l’intensité de l’imagerie de Phil Mulloy ne fait pas seulement de l’animation une forme d’expression unique, elle révèle son auteur comme critique perspicace de l’inégalité, de l’hypocrisie et du conflit sous-jacent de la vie contemporaine.
Les deux textes sont des traductions d’écrits de Paul Wells pour le BFI (British Film Institute)

(traduction d’un texte de Paul Wells)

Interview de Phil Mulloy

Vous venez de la peinture. Vos personnages sont très simples, il sont tout noirs, aussi bien dans leur aspect que dans leur esprit. Quelles sont vos principales influences artistiques ? L’expressionnisme par exemple ?

J’ai volontairement cherché à me débarrasser de toute influence au moment de l’ébauche de mon univers. Il m’est ainsi difficile de citer un courant artistique particulier, de dire d’un artiste: “celui-là m’a influencé plus que n’importe quel autre”. Je voulais que mon style soit aussi simple que possible, qu’il brille, d’une certaine manière, par l’absence de sa technique artistique. Et éviter absolument ce que beaucoup font dans l’animation, à savoir de copier volontairement le style d’un film ou d’une oeuvre quelconque. Il y a sûrement des influences, il se peut très que vous ouvriez un livre et que vous tombiez sur quelque chose qui ressemble à mes personnages. Mais il n’y a pas eu de démarche consciente de ma part dans l’élaboration de mon style.
J’ai évidemment été influencé par l’art du XXème siècle. J’ai fait des études d’art, et j’ai été confronté à l’art occidental depuis ma petite enfance. Mais il s’agit d’un ensemble très vaste, pas de quelque chose de spécifique. Je m’intéressais cependant beaucoup à l’art mexicain, à l’art brut, à l’époque où j’ai commencé à faire des films d’animation. Je me rappelle notamment d’une exposition d’art mexicain à Londres. Je ne suis évidemment pas rentré chez moi en me disant que c’était ce que je voulais faire. Ce n’est que plus tard que j’ai pris conscience de la relation entre l’art mexicain et mes films. Il y a des similitudes évidentes, comme la réduction des personnages à leur squelette, qui s’oppose à une représentation particulière pour chaque personnage. Ça a donc peut-être été une influence. Mais si c’est le cas, elle fut inconsciente. Je voulais avant tout parvenir à quelque chose de très simple, de très direct.
Il s’agissait de dessiner de petits bonshommes, ces petits bonshommes constitués de simples traits que les gens font quand ils se mettent à dessiner. Et comme je ne voulais pas passer trop de temps à animer mes dessins et que je ne suis pas très doué pour ça, j’ai cherché la solution la plus simple. La façon dont je fais mes films et dont je les monte vient de ma volonté de contourner les problèmes liés à l’animation. Si ce que je suis en train de faire s’avère trop difficile, je me débrouille autrement. La forme a ainsi découlé de la fonction. Il ne s’agit pas d’une esthétique réfléchie que j’ai ensuite couchée sur du papier. L’esthétique a été le résultat de mon désir de faire quelque chose de spontané et d’intuitif. Je dessine un peu comme on écrit, je fais quelque chose qui va à contre-courant de ce qu’est l’art, avec sa recherche formelle. Je suis plus intéressé par le contenu, et par la façon purement fonctionnelle de le faire passer au public.
Mon passé de cinéaste de fiction a également joué un rôle. Les personnages, en général, bougent très peu dans ces films, le mouvement vient de la relation entre les plans. Mes films d’animation fonctionnent ainsi, contrairement à la plupart, où le mouvement se produit à l’intérieur du plan. C’est ce qu’aiment tant les gens dans l’animation d’ailleurs, voir les choses se transformer réellement sous leurs yeux.

L’élaboration de ce style si original a-t-elle été longue ?

J’ai passé deux ans sur deux films sans arriver à ce que je voulais. J’allais au studio, avec en tête l’idée motrice du film. Mais un jour je prenais un crayon et dessinais d’une certaine façon, le lendemain j’utilisais du charbon, le jour suivant de la peinture. J’ai ainsi essayé de nombreuses techniques, et une des caractéristiques esthétiques de mon premier film est cette accumulation des différentes façons dans le dessin et dans la représentation des choses. Essayer tout ça m’a certes donné beaucoup de liberté, mais je n’étais pas satisfait car je voulais avant tout raconter des histoires et ces films étaient, de par leur structure, poétiques. Et puis un jour le Arts Council a demandé des projets aux gens qui voulais faire des films. Je me suis assis à mon bureau et j’ai écrit la série “Cow-boy” en une après-midi. Puis j’ai fait le story-board, très rapidement. Je voulais faire les choses différemment et c’est sorti tout seul, sans réflexion consciente.

Pourquoi avoir arrêté la peinture ?

Si j’ai cessé de peindre, c’est parce que chaque toile demandait tant de temps, chaque image avait une telle importance. Il y avait trop d’enjeu à chaque fois et cela m’était pénible. Passer à l’animation a été très libérateur, car le dessin que vous êtes en train de faire n’est pas plus important que le suivant, c’est la relation entre les images qui compte, plutôt que les images elles-mêmes. Et cela me permet de faire plein de dessins sans m’attarder sur chacun d’entre eux. C’est l’insignifiance de chacun de ces dessins qui m’a permis de créer une signification.
Mes premières peintures, curieusement, sont assez proches de ce que je fais en animation. J’avais alors l’impression d’être capable de tout. Et puis le fait d’être dans une école, d’être au courant de tout ce qui se passe en matière d’art, de savoir ce qui a du succès et ce qui n’en a pas, ce que les gens ou les galeries attendent… Tout ça vous pousse à vous adapter à la tendance du moment. Et j’ai ainsi perdu l’enthousiasme et la spontanéité que j’avais avant d’entrer à l’école. Me mettre à l’animation avec cette nouvelle approche m’a donné l’impression de retrouver toute l’excitation nécessaire. C’était étrange de se retrouver à 40 ans à faire ce que je faisais à 17 ans. Que s’était-il passé entre-temps ? J’ai véritablement eu besoin de me réinventer.

Vous avez également étudié le cinéma.

Après l’école d’art, j’ai fait une école de cinéma. Je me suis mis à beaucoup écrire, ce qui n’est pas mon langage naturel. Jeune, j’ai toujours été habitué à dessiner et à peindre, mais j’ai arrêté lorsque je suis entré dans cette école. Je n’en éprouvais plus le besoin. Mais quand j’ai recommencé, j’ai eu comme l’impression d’être un poisson qui se retrouvait dans l’eau après avoir passé tant de temps dans un pays sec. J’ai réalisé à quel point cela m’était nécessaire, à quel point il était plus facile pour moi de communiquer en utilisant un langage imagé, plutôt que d’écrire, de faire des dialogues, de mettre des mots dans la bouche des acteurs. Et ainsi la vie est devenue beaucoup plus agréable. J’étais débarrassé de ce travail pénible qu’était pour moi l’écriture.

Quel genre de films faisiez-vous alors ?

J’étais très influencé par le cinéma underground américain, et j’ai fait ce genre de films au cours de mes études. Puis j’ai suivi les cours de Noël Burch, qui m’a poussé vers la narration. Mais construire une trame narrative n’était pas facile pour moi, j’avais le sentiment d’une lutte perpétuelle. Je ne suis jamais parvenu à résoudre le dilemme entre la poésie de l’image et le caractère utilitaire de la narration. Je travaillais dans les conventions tout en me débattant contre elles et je pense que si je ne suis pas satisfait de mes films de fiction, c’est à cause de cela. J’avais pourtant trouvé une démarche formelle qui me plaisait. Mes films étaient marqués par des réalisateurs comme Bresson ou Godard. Passer du long métrage de fiction au court métrage d’animation m’a fait beaucoup de bien, même si en général c’est l’inverse qui se produit. Et puis trouver de l’argent est si pénible. L’attente perpétuelle…

Votre première série d’animation s’appelle ‘Cow-boy’. Vos films sont très marqués par la mythologie américaine: le far-west, la conquête de l’espace…

J’ai grandi dans cet univers. Je m’y sens à l’aise. Et c’est une arène dans laquelle beaucoup de gens ont été éduqués. Le cinéma américain fait partie de la culture dominante, nous sommes
donc tous influencés par lui. Si vous faites des films très courts (la série ‘Cow-boy’ est composée de films de trois minutes), il est plus facile d’évoluer dans un terrain familier aux gens. Vous gagnez du temps car vous évitez la mise en place. Tout le monde connaît les cow-boys, leurs codes, les problèmes auxquels ils sont confrontés, cette relation entre le bien et le mal, avec le bien qui finit toujours par l’emporter… En partant de ce contexte que les gens connaissent déjà, je savais qu’ils auraient conscience des clichés liés à cet univers. Et avec un peu de chance, je réussirais à détourner un peu le cours normal des choses, à montrer les personnages sous un jour légèrement différent. Ma démarche est fonctionnelle, une fois de plus, elle facilite les choses, tout simplement. Partir de zéro en parlant de quelque chose que les gens ne connaissent pas aurait été trop compliqué. Mon approche serait certainement différente si je faisais des longs métrages, mais puisque mes films sont courts je dois profiter de ce qui existe déjà, de ces films qui font partie de notre culture, que je retravaille en quelque sorte. Faire un film de cow-boy est de plus très excitant pour moi. C’est quelque chose que je ne pourrais pas me permettre si je faisais des fictions. On ne fait pas de films de cow-boy en Angleterre. Mais puisque c’est de l’animation…

Vos films sont très noirs, mais très drôles, et il y a beaucoup de distance avec le propos. On peut se demander si vous avez une vision optimiste ou pessimiste de l’humanité.

J’ai peut-être moins foi en l’humanité que lorsque j’étais plus jeune, mais je suis un optimiste. Il faut être terriblement optimiste pour faire un film, pour trouver de l’argent, vouloir monter une production. Je crois que quiconque produit quelque chose est optimiste, car le fait de dire “j’existe”, “je vais produire quelque chose dans ce monde” crée une énergie. Pour moi, c’est ça l’optimisme. Si j’étais pessimiste, je ne ferais rien. Et je ne veux pas rendre les gens pessimistes. Je ne cherche pas à les faire réfléchir sur la condition humaine, sur le comportement de l’homme envers ses semblables. Je bâtis un univers dans lequel vivent des gens, avec l’envie d’en faire ressortir l’aspect comique. L’humour est très important pour moi, car mes films sont acides et cela me permet de faire avaler la pilule plus facilement. Mes films ont quelque chose d’enfantin, mes dessins représentent un monde naïf, un monde de l’innocence perdue. Je pense aussi que montrer aux gens qu’on peut faire des films si facilement à partir de rien est un message d’optimisme.
Quant à mes personnages, qu’ils aient un air austère est une force selon moi. Si on est dans une forêt et que tous les arbres se ressemblent, on veut que le sien se démarque des autres. L’aspect brut, rudimentaire et fonctionnel de mon travail constitue ma marque personnelle. Si ce que je fais est atypique, si j’accentue tant les éléments dramatiques, c’est pour avoir mon arbre à moi, car le monde est plein d’images et je veux que les miennes se remarquent. C’est en se différenciant qu’on y parvient. Mais il est malheureusement aujourd’hui de plus en plus difficile de garder une telle démarche, il y a une forte exigence pour qu’un film soit écrit d’une certaine façon parce que c’est ce que le public veut. On est de plus en plus poussés à se conformer, c’est la prédominance d’Hollywood. Et c’est la raison pour laquelle je pense qu’il est de plus en plus nécessaire de faire quelque chose de différent, d’affirmer qu’il y a plusieurs façons de construire les choses, de représenter le monde. Ma vision est subjective, elle peut très bien ne pas être du goût de tous, mais même si c’est le cas, et ça l’est sûrement, je pense qu’il ne faut pas laisser juste une ou deux voies s’exprimer. Car si tout se réduit à une vision uniforme du monde, et que cette vision se fait passer pour ce qu’est le monde, alors je pense qu’on fait fausse route. Et encore une fois, c’est une motivation pour moi et un message d’optimisme pour les autres, de montrer qu’on peut penser différemment et continuer à s’exprimer. Et pour le moment, en ce qui me concerne, la seule façon de montrer mes courts métrages est le circuit des festivals. En Angleterre ce n’est pas très facile, mais mes films sont beaucoup vus à travers le monde, notamment en Allemagne ou au Japon. Et ce qui me fait plaisir, c’est de voir qu’ils touchent des gens de cultures très différentes. Cela vient peut-être simplement de la dominance d’Hollywood, du fait que partout les gens sont marqués par la culture américaine. Mais même si c’est le cas, ça m’est égal. J’utilise alors Hollywood pour transmettre autre chose.

La musique est très importante dans vos films…

Si il y avait une analogie culturelle à faire avec ce que je fais, ce serait avec la musique. Mes films sont comme des blues, un type chantant très simplement avec sa guitare, sans orchestre, sans la moindre prétention. J’aime la musique, surtout quand elle est simple, qu’elle vient du coeur, des tripes, qu’elle est débarrassée de tout artifice et qu’elle vous bouleverse émotionnellement.
J’ai travaillé avec Alex Balanescu dès mon deuxième film. Il est venu au studio avec cinq musiciens et ils sont partis sur une musique improvisée et sauvage. C’était parfait. Il joue avec son coeur, et sa formation classique lui a donné en même temps une grande maîtrise technique. C’est un très bon musicien, qui fait une sorte de blues roumain. Il a apporté un élément classique à des dessins qu’on pourrait presque trouver par terre et leur a conféré une autre dimension. J’attache beaucoup d’importance à cette relation entre culture et non-culture. Pour ‘Le Vent des changements’ qui raconte son histoire, j’ai fait plusieurs interviews avec lui. Mon intention première était de monter l’interview, qu’il le mette en musique et que des dessins en naissent. Mais il était tellement pris, à jouer partout dans le monde, que j’ai fini par faire le film sans la musique. Je n’ai jamais réessayé de travailler dans ce sens, car même si beaucoup d’animateurs font d’abord la bande sonore et ensuite les images, il y a quelque chose de trop astreignant à devoir suivre une musique. Je préfère en fait que ce soit le musicien qui soit confronté aux contraintes que je lui impose par mes dessins.
Puis j’ai commencé à travailler avec Peter Brewis. C’est très agréable, il est très souple, n’a aucune préciosité. Si je lui dis qu’il y a quelque chose que je n’aime pas, que je ne sens pas ça, que c’est affreux, il le change sans faire de problèmes. Ma collaboration avec lui est bien plus étroite qu’elle ne l’a jamais été avec Alex. Avec Alex, on a juste Alex. Il arrive au studio et fait ce qui lui plaît. Le rythme est lent quand il doit être rapide, vous entendez un saxophone au moment où un personnage joue du violon… Je rentrais chez moi catastrophé, puis je m’y habituais, trouvais ça formidable. Il s’attache à l’esprit du film, non aux moments pris individuellement les uns après les autres. Travailler avec lui m’a beaucoup appris, et je finissais toujours par trouver ça parfait.